L’Etat et les collectivités locales se mobilisent pour la région au travers du Pacte d’Avenir pour la Bretagne, dans un contexte de défiance vis-à-vis de l’impôt. Or, l’impôt, c’est le ciment et la première pierre de la Nation, la condition de la solidarité nationale. C’est ce que Christophe Martins, président du groupe Radical, Social, Démocrate et Républicain (RSDR) au Conseil général d’Ille-et-Vilaine, a tenu à rappeler dans son intervention liminaire.

 

Monsieur le Président,
Mesdames, messieurs les Conseillers généraux,
Mesdames, messieurs,

Nous vivons une drôle d’époque. Une époque difficile pour les élus de la République que nous sommes et qui supportons une forme d’antiparlementarisme exacerbé et décomplexé. Nous avons vu, ces dernières semaines, patrons et salariés bretons défiler ensemble contre un « ras-le-bol fiscal », un mot d’ordre qui semble clair et qui, pourtant, traduit des réalités bien différentes.

Nous avons ainsi eu à supporter ce qui me semble être un mouvement contre-nature. Contre-nature quand je vois les licenciés de Gad manifester aux côtés d’un patron qui les avait fait chasser des piquets de grève par des salariés de l’entreprise toujours en activité. Quel cynisme ! Lorsque l’on creuse un peu les revendications des uns et des autres, on réalise qu’il n’y a pas de convergence possible entre des intérêts qui s’opposent.
Alors, quel est le dénominateur commun ? Et bien l’Etat. C’est bien maigre. Mais c’est suffisant pour fédérer les mécontents de tous poils.

Les Etats-Généraux que préparent les Bonnets Rouges ne sont pas sans rappeler ceux organisés par l’Union de Défense des Commerçants et des Artisans (l’UDCA) et Pierre Poujade. Sans doute pourrait-on pousser plus loin le parallèle entre les Bonnets Rouges et Pierre Poujade : le même refus du prélèvement de l’impôt, la même absence de solutions…

J’arrête là le parallèle pour en venir à la situation de notre pays.

Pendant une décennie, on s’est accommodé d’un déficit croissant de nos finances publiques et ce alors que la gauche avait quitté le pouvoir en 2002 avec un déficit de 3,1% du PIB.

Depuis que la crise s’est installée en 2008, l’équation budgétaire est devenue encore plus difficile à résoudre. Les recettes de l’État ont été affectées par la récession, tandis que les dépenses ont continué inexorablement d’augmenter. Pour de nombreux Français, cet effet de ciseaux s’est traduit par une pression fiscale qui a nourri l’actualité du mois de novembre. C’est oublier que nombre de taxes et d’impôts, dont l’écotaxe, ont été instaurés sous le précédent mandat.

J’entends bien certains de nos collègues qui commentaient les rassemblements de « bonnets rouges ». Selon eux, tout ce désordre serait la conséquence de la politique fiscale du Gouvernement menée depuis dix-huit mois. La réalité est toute autre. Le déficit public avait atteint 5,3 % du PIB en 2011. Il a été ramené à 4,1 % en 2013. Le déficit structurel est également en voie d’amélioration : il est passé de 5,1 % du PIB en 2011 à 2,6 % en 2013 et devrait s’établir à 1,7 % l’année prochaine. C’est un indice supplémentaire du sérieux budgétaire qui caractérise l’action du Gouvernement depuis son arrivée au pouvoir et les Radicaux de Gauche s’en félicitent.

Par ailleurs, nous apprenions cette semaine que la pression fiscale augmente dans la plupart des pays de l’OCDE. Finalement, cette tendance est logique. Depuis 2008, nous sommes dans une crise que l’on interprète comme une crise de la dette souveraine. On nous rabâche qu’il s’agit d’une crise des dépenses publiques. Pourtant, un déficit est le résultat d’un déséquilibre entre recettes et dépenses. Or, le budget général de l’Etat a perdu entre 101 et 119 milliards d’euros de recettes fiscales entre 2000 et 2009. Et si la droite européenne choisit de ne présenter le déficit que sous l’angle des dépenses, c’est bien parce que ce qui lui pose problème c’est l’action publique en elle-même.
A croire qu’elle n’a tiré aucune leçon d’une crise provoquée par le manque de régulation par la puissance publique.

Alors oui, en Europe, les impôts augmentent pour résorber la dette mais l’important c’est que l’effort se fasse dans la justice. Que ceux qui ont plus, payent plus. C’est d’ailleurs dans les pays scandinaves où les taux de prélèvements sont les plus élevés que les habitants se déclarent les plus heureux.

Car c’est au regard de cette analyse – moins d’intervention, moins de régulation – qu’il faut, à mon sens, lire le mouvement des “bonnets rouges”.
Aujourd’hui ce sont les mêmes « bonnets rouges » qui dénoncent le Pacte d’avenir pour la Bretagne. Celui-ci serait trop peu ambitieux, les 2 milliards pour la Bretagne seraient insuffisants. Que faut-il comprendre ? D’un côté, l’Etat prélèverait déjà trop d’impôts mais, de l’autre, il serait trop pingre en aides publiques ? Quelle est la logique ? Où faudrait-il aller chercher l’argent à redistribuer si ce n’est dans le pot commun ?

Si vous me le permettez, j’aimerais revenir sur une tribune publiée à la rentrée par nos amis Centristes et Démocrates Sociaux (CDS) et l’Union de la Droite et du Centre (UDC) dans 7 jours Les Petites Affiches de Bretagne. Vous vous en êtes pris à la gestion de la majorité à la tête du Département, aux choix que vous n’auriez pas faits, ce qui est louable, vous êtes dans l’opposition.

Ce qui l’est beaucoup moins, c’est de promettre monts et merveilles. Dans cette même tribune, vous proposez deux axes de travail.
Le premier, c’est le gel des impôts, la maîtrise drastique de la dépense publique.
Le second, c’est une politique ambitieuse en matière d’infrastructures pour lutter contre le désenclavement de la Bretagne : Mettre Brest et Quimper à trois heures de Paris, faire une politique ambitieuse en matière d’équipements routiers, etc.

Ce que vous nous dîtes, en somme, c’est que l’on peut faire plus avec moins. Moins de recette, plus d’action publique.
Je pourrais vous demander la recette, comment peut-on faire ? Mais vous et moi, nous savons bien que ce n’est pas possible.

Et là, ce que vous faîtes est particulièrement dangereux. Vous êtes en train de dire aux Bretilliens que l’argent public est gaspillé, que cela ne sert à rien de payer des impôts.

L’impôt, c’est finalement le fil rouge de cette séquence politique.

Quand les dirigeants des entreprises réclament moins d’impôts, moins de normes, ils demandent à l’Etat de se désengager. Ils affirment haut et fort qu’ils veulent moins participer à la solidarité nationale.
Les salariés, eux, ont besoin au contraire de plus de sécurité, de plus de redistribution, de plus d’intervention de l’Etat pour que les milliards d’aides publiques ne s’exilent plus au Brésil mais servent à renforcer l’attractivité de la filière porcine, par exemple.

Avec quel argent peut-on financer les dispositifs prévus par le Pacte d’avenir pour aider les licenciés de Gad à rebondir, si ce n’est celui de la solidarité nationale ? Et si les entreprises ne veulent plus participer, qui peut ? Les ménages, dont le pouvoir d’achat n’a cessé de baisser au cours des dix dernières années ?

Vous remarquerez au passage qu’à aucun moment le mouvement ne s’en est pris à l’Europe. C’est un signe. Celui de la reconnaissance du ventre. Car la réalité, c’est aussi celle de certains industriels qui ont été gavés aux subventions européennes et qui n’ont pas eu le courage d’imaginer un autre avenir pour leurs entreprises, alors même que la situation que nous vivons aujourd’hui est annoncée depuis 30 ans.

Comme d’habitude, certains dirigeants nous prouvent qu’avec l’Etat, c’est deux poids deux mesures : les aides publiques d’accord, les impôts sûrement pas. La socialisation des pertes mais la privatisation des profits.

Bref, les besoins des uns et des autres sont irréconciliables. En revanche, ce que cette mobilisation traduit, à mon sens, c’est la nécessité d’une vraie et grande réforme fiscale. Je me réjouis de l’annonce de Jean-Marc Ayrault à ce sujet.
Pour autant, la réforme fiscale attendue et espérée doit reposer sur l’équité, la stabilité, la lisibilité. Ce sont là les trois piliers qui doivent guider cette réforme fiscale et plus largement l’action publique de toutes collectivités.
Ce dont nous avons besoin, c’est d’une plus juste progressivité de l’impôt. J’entends et je comprends que les petites entreprises payent trop par rapport aux plus grandes. Quand les grandes consentent à payer…
Les petites n’ont en effet pas les moyens qu’ont les grandes pour « optimiser leur fiscalité » et dénicher les meilleures niches. J’entends aussi l’incompréhension des ménages modestes quand ils se mettent à payer des impôts à cause du gel de l’indice de l’impôt sur le revenu, décidé sous le précédent mandat et qui sera rectifié en 2014.

Pour rappel, on estime à 590 milliards d’euros1 l’ensemble des avoirs français dissimulés dans les paradis fiscaux – soit une fois et demie le budget du Ministère de l’Education Nationale, dont 220 milliards appartenant aux Français les plus riches, le reste étant le fait d’entreprises. Depuis 2000, la banque UBS France, à elle toute seule, aurait privé le fisc français de 85 millions d’euros chaque année.

On sait bien, par ailleurs, que les familles les plus riches le sont désormais grâce au capital et que celui-ci est moins imposé que les revenus du travail. En conséquence, les plus riches contribuent moins. En outre, le système d’imposition français, au lieu d’être progressif, est en réalité régressif à partir d’un certain seuil : alors que le taux d’imposition moyen des 50% des Français les plus modestes est de 45%, ce taux ne dépasse pas les 35% pour les 5% les plus riches.

Dans ces conditions, évidemment que l’impôt perd son sens. Comment comprendre que plus on gagne, moins on paye proportionnellement ?
Un des enjeux auxquels nous devons faire face, qu’on soit élus de droite ou de gauche, c’est le consentement à l’impôt. C’est un enjeu démocratique fort.

Il faudra respecter un autre impératif : la stabilité. En effet, l’instabilité fiscale empêche les ménages de prendre certaines décisions : épargner ou consommer plus ou moins, investir dans les entreprises, vendre ou acheter un bien immobilier.
Elle freine également les entreprises dans leurs décisions d’investissement et, par conséquent, elle bride l’innovation et la croissance.
Pour la lisibilité, il faut faire preuve de transparence et d’explications. Cette lisibilité passe par l’acceptation d’une contribution à l’effort collectif à sa juste mesure. Pour cela, nous devons expliciter le sens de l’action publique que nous menons.
Ici, je tiens à saluer la démarche de notre Président, Jean-Louis Tourenne. Ses réunions publiques participatives dans les différents pays bretilliens contribuent à ce rapprochement élus-citoyens, par l’implication et la mise en situation des habitants.

C’est aussi grâce au formidable outil que nous avons mis en place : le dispositif “on se connait ?”. Ce dispositif n’est pas simplement un outil au service de la démocratie locale pour rapprocher les élus et les citoyens. L’enjeu est dans le rapprochement de l’administration avec ses administrés. Nous avons réussi, grâce à ce dispositif, à faire remonter des informations, des suggestions, des mécontentements qui vont permettre à nos services de s’adapter et, ainsi, de mieux répondre à l’attente de nos administrés.
Le plan d’action qui nous est proposé aujourd’hui comporte pas moins de 138 propositions qui vont nous permettre d’améliorer notre service à la population, en étant plus transparent, plus réactif dans l’accompagnement des Bretiliens.

Je le rappelle : l’impôt, c’est le ciment et la première pierre de la Nation, la condition de la solidarité nationale. Pierre Mendès-France disait : « La République doit se construire sans cesse car nous la concevons éternellement révolutionnaire, à l’encontre de l’inégalité, de l’oppression, de la misère, des préjugés, éternellement inachevée tant qu’il reste des progrès à accomplir ».

Je vous remercie pour votre attention et vous souhaite dès à présent une bonne session et, en cette fin d’année, de très belles fêtes à venir.

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