Au nom du groupe PRG, Christophe Martins (vice-président du Conseil général, maire d’Iffendic) est intervenu devant l’assemblée départementale à l’occasion du débat d’orientations budgétaire, qui se tenait les 20 et 21 décembre 2012.
Monsieur le Président,
Mes cher(e)s Collègues,
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes réunis ce jeudi matin 20 décembre pour une session particulière, voir historique puisque nous vivons, à en croire les prophètes de l’Apocalypse, nos dernières heures. Comme vous pouvez le constater, Monsieur le Président, nous sommes pourtant là, tous réunis pour accomplir notre devoir jusqu’au bout.
Dans une société en crise, il est vrai qu’il est facile de jouer sur les angoisses et d’en profiter.
La peur du lendemain, de la crise économique, du désastre écologique, la peur de l’étranger, la peur de ce qui change, la peur de l’autre,…. la peur tout court, peut facilement nous submerger et paralyser toute forme d’action publique.
C’est pourquoi l’un des défis que nous avons ensemble à relever est de redonner confiance à nos concitoyens.
Pour ce faire, tout doit être mis en place pour mieux associer nos populations aux politiques publiques qui les concernent. Le remarquable travail des comités consultatifs, la mise en œuvre du droit d’interpellation au sein de ce Conseil général, participent à cet objectif partagé.
Certains d’entre nous peuvent le regretter mais la demande sociétale est si forte que se limiter aux seuls processus prévus actuellement par la loi (élections, enquête publique, débat public, …) risque, demain, d’être totalement insuffisant.
Notre république a besoin de se régénérer, de passer d’une culture administrative du simple respect des règles de procédure à une véritable culture de la concertation, d’écoute, de partage.
Cependant, mettre en place de tels dispositifs, ce n’est pas accepter le dictat de la rue ou de tel ou tel groupe de pression, encore moins des professionnels de la contestation, ou de ceux qui se qualifient d’autorité morale.
Depuis que le savoir existe, des charlatans, des arrivistes mais aussi des illuminés exploitent nos préjugés, nos croyances, pour présenter comme scientifiquement prouvés des faits qui ne le sont pas.
Et ce n’est pas la loi du nombre, la loi de la rue ou la loi des forums sur Internet qui peuvent dicter l’intérêt général.
Avec des millions de contributions citoyennes par jour, Internet est pourtant le dernier espace de parole qui soit libre.
Mais Internet n’est pas si net, sans bavure. Chacun peut se prendre pour le Professeur Tournesol donnant son avis, qui sur le nucléaire, qui sur le réchauffement climatique, qui sur le dernier virus apparu…
Si, pendant longtemps, le comptoir de mon bistrot de village était le seul lieu on l’on pouvait écouter des conversations « éminemment scientifiques sur la pluie et le beau temps», nous avons maintenant « radionet » pour s’abreuver 24h sur 24.
En reliant les hommes, Internet était censé créer une intelligence collective. Force est de constater que cela n’est pas toujours une évidence.
Mais notre démocratie, nos collectivités, doivent, en ce début de 21ième siècle, s’adapter à ces nouveaux médias, à cette nouvelle envie citoyenne de s’exprimer.
Nous « ne retiendrons jamais l’eau du fleuve, alors, plongeons dans le fleuve » et échangeons nos sources de données, nos motivations, nos postulats.
C’est source de vitalité et c’est une chance, pour notre vielle Europe, si nous savons là saisir et revisiter, moderniser nos procédures de concertation et associer au mieux nos concitoyens.
Mais soyons clair, rien ne pourra remplacer les représentants élus dans une démocratie. Aussi, s’il nous faut revisiter nos savoir-faire pour retrouver les chemins d’un dialogue apaisé, nous devons tous accepter le verdict des urnes et des programmes qui vont avec. C’est d’abord cela la République. C’est d’abord cela le vivre ensemble.
C’est d’ailleurs ce que nous attendons de nos élites nationales : moins de conflits, plus d’actions, chercher ce qui réunit plutôt que ce qui divise.
C’est cet effort qui vient d’être récompensé à Oslo par la remise du prix Nobel de la Paix à l’Europe.
Comme le dit Thorbjorn Jagland, le président du Comité Nobel norvégien, « Nous ne sommes pas rassemblés ici aujourd’hui avec la conviction que l’Union Européenne est parfaite. Nous sommes rassemblés avec la conviction que l’on doit résoudre nos problèmes ensemble ».
L’Europe est riche de sa diversité née dans les tranchées de Verdun et dans les camps de la mort. L’Europe a su surmonter ces divisions pour vivre en paix. Elle doit maintenant surmonter ses Etats pour construire une Europe Fédérale, seule sortie plausible de la crise.
L’Europe seule pourra permettre de relancer une politique de grands travaux.
Car ne comptons pas uniquement sur la rigueur budgétaire, investissons également dans une nouvelle croissance ! Jamais l’austérité seule ne nous sauvera de la crise. Nous devons restructurer notre économie afin d’aboutir à une économie durable nous permettant d’accroitre notre compétitivité tout en répondant à l’exigence de soutenabilité.
Pendant longtemps, le développement durable a été une ambition qu’il était bon d’afficher, pour les entreprises ou les collectivités, sans que cela n’aboutisse à des mesures concrètes et efficaces. Aujourd’hui, alors que les simulations du CNRS font état d’une augmentation de la température de 2°C, pour le scénario le plus optimiste et jusqu’à 5°C pour 2 100, nous ne pouvons plus nous permettre de rester dans l’expectative. C’est la raison pour laquelle le Conseil général s’est engagé, depuis plusieurs années maintenant, en faveur de la protection de l’environnement et du bien-vivre.
Or le problème de l’environnement, j’en suis convaincu, c’est d’abord un problème de démocratie. Comment décider collectivement de notre destin commun quand les grands enjeux écologiques sont confisqués par quelques grands groupes qui décident pour tous ? Comment imaginer que le marché seul puisse concevoir des solutions qui aillent dans l’intérêt général ?
Ainsi, à notre niveau, nous avons mesuré l’importance d’une prise de conscience collective et nous avons réalisé qu’elle ne passerait que par une meilleure implication des citoyens. Le Pacte citoyen élaboré par le Conseil général redonne à chacun les moyens de choisir l’avenir du collectif. La participation de tous les acteurs est une condition préalable pour imaginer des solutions durables.
Monsieur le Président, vous avez crée, en 2005, un comité consultatif de l’environnement qui réunit les associations de défense de l’environnement et tous ceux qui souhaitent faire des propositions et réfléchir sur les perspectives futures. C’est aujourd’hui une source précieuse d’informations et d’idées pour les élus de notre collectivité et ce n’est que par la concertation, que nous dessinerons le monde de demain.
Par ailleurs, nous avons refusé de faire du développement durable une politique publique parmi les autres. Au contraire, nous avons réalisé combien l’avènement d’un nouveau modèle nécessitait de la transversalité ; une volonté politique qui guide toutes les autres. C’est pourquoi nous avons mis sur pied un Comité de suivi du Développement durable, comité dont l’un des rapports d’évaluation vous sera présenté lors de cette session.
Face aux changements climatiques et aux risques encore mal évalués auxquels nous risquons d’être confrontés et face à ce qui ressemble à une léthargie internationale sur ces questions, il est possible d’agir, chacun à son niveau, et même d’être ambitieux.
Ce sont sans doute les initiatives locales qui permettront d’insuffler un nouvel élan, une prise de conscience globale pouvant préparer l’avenir.
C’est aussi ce qui nous guide dans la volonté de mailler notre territoire, non seulement d’infrastructures routières, mais aussi d’autoroutes de l’information.
Par son implication très concrète pour améliorer et renforcer l’action publique, notre département continue d’innover, d’inventer des politiques nouvelles. Son implication dans le projet Bretagne très Haut débit et sa participation au nouveau Syndicat Mixte e-mégalis doit nous permettre de mettre en place un outil de gouvernance et de coordination pour répondre au mieux à cet impératif de desserte de tous les territoires en très haut débit.
Encore faudra-t-il que notre place en tant que département financeur, soit pleinement reconnue et pas seulement au niveau de sa cotisation.
Nous entendons par là même que notre droit de vote au sein de ce Syndicat soit au moins proportionnel à notre investissement financier.
Répondre aux enjeux de notre territoire, c’est l’essence même des orientations budgétaires proposées pour 2013.
Évidement, nous aurions préféré travailler avec d’autres certitudes, avec des rentrées fiscales et des droits de mutation en hausse, avec des dotations d’État en augmentation, avec des dépenses sociales en baisse…Mais la réalité, c’est tout à fait l’inverse et force est de constater que, malgré toutes ces contraintes, nous arrivons encore à 150 Millions d’euros d’investissement pour 2013 :
Notre Département soutient territoires et communes avec les Contrats de Territoire. Il soutient l’économie locale de façon directe par un nouveau fonds de soutien mais aussi indirectement, par sa forte implication :
- sur les routes (40 M€),
- auprès des collèges (21 M€),
- pour la LGV (13 M€)
- pour les structures collectives pour personnes âgées et handicapées (10 ,6M€)
- et aussi pour le logement pour près de 10 M€, pour le SDISS, pour les transports, pour le sport…
Malgré la crise, le département d’Ille-et-Vilaine reste un acteur économique important. Il montre une fois de plus son utilité et l’utilité qu’il a de pouvoir conserver une clause générale de compétence.
Nous ne pouvons être trop cantonnés à nos compétences sociales. J’en ai la conviction, les Départements représentent, par la proximité et la représentativité qui est la leur, un formidable outil pour résoudre la crise de la représentation et du politique. Nos territoires se sentent parfois oubliés.
Avec le Département, nous pouvons travailler le lien social, les solidarités territoriales, les projets concrets qui puisent leurs ressources dans la réalité d’un territoire. C’est pourquoi nous devons garder la clause générale de compétence.
Cela ne signifie pas que certaines clarifications ne doivent pas être faîtes.
L’État et les collectivités territoriales portent ensemble l’intérêt général national, selon leurs moyens et leurs compétences. Mais c’est bien l’État qui doit fixer la règle de droit et assumer en propre certaines compétences bien déterminées comme ses compétences régaliennes (justice, sécurité…), mais aussi les grandes politiques d’intérêt national telles que l’éducation.
L’État doit être le garant de la cohésion sociale et territoriale du pays.
A cette fin, il a vocation à intervenir partout sur le territoire national mais doit également continuer de cibler son intervention vers les territoires ou collectivités en difficultés. Par exemple, il doit se préoccuper des quartiers défavorisés, des services publics en milieu rural, des zones déshéritées de l’aménagement numérique ou encore, des zones désertées par la médecine…
Mais l’État doit cesser d’intervenir quand une compétence a été transférée. Dans de nombreux domaines comme la formation professionnelle, l’apprentissage, le handicap, le transfert doit être accéléré.
L’État doit mettre en place une réelle péréquation « horizontale » et « verticale des richesses » . Pour ce faire, il doit conduire une véritable réforme fiscale.
Alors qu’antérieurement 40% de la richesse fiscale venaient des entreprises et 60% des ménages, nous en sommes à 77% sur les ménages. Comme les choses sont totalement liées, cela signifie que lorsque l’on veut aujourd’hui augmenter l’impôt, nous augmentons en moyenne à 77% sur les ménages et 23% sur les entreprises. Cela ne peut durer.
Les collectivités locales doivent bénéficier d’une autonomie fiscale réelle et d’un système fiscal lisible, reposant sur des impôts diversifiés, portant à la fois sur les entreprises et les ménages, afin que l’impôt soit en juste rapport avec la capacité contributive de chaque catégorie de contribuables.
Sans cette reforme fiscale, sans la réforme de l’APA, les départements, déjà asphyxiés par la réforme de la taxe professionnelle, seront obligés, faute de nouveau financement, de laisser tomber des pans entiers de leurs services publics. Inutile, dans ce cadre, de vouloir préserver la clause générale de compétence !
Mais restons optimistes et notons que le débat parlementaire devra nous éclairer sur la place des départements.
A la lecture de l’avant projet sur l’acte trois de la décentralisation, on voit très nettement la place primordiale et tout l’intérêt porté à la Région. On voit aussi une nouvelle consécration juridique du phénomène urbain avec la création de deux nouvelles catégories d’intercommunalité :
- les euros métropoles pour Lille, Lyon et Marseille,
- les communautés métropolitaines pour des ensembles de plus de 400 000 habitants.
La possibilité que pourraient avoir ces nouvelles métropoles ( + 400 000 habitants) de récupérer par convention, en lieu et place du département, tout ou partie de ses compétences, est une nouvelle disposition prévue par l’avant projet.
L’application d’une telle possibilité pourrait entrainer des changements, des transferts importants dans nombres de départements : routes, sport, culture….
Sur ce point et afin de voir les transferts être étudiés en toute sérénité, il faudrait, dans l’intérêt des départements et des métropoles, que le législateur arrête précisément dans le texte de loi, le cadre, les conditions et les modalités précises de ces transferts.
Enfin, toujours dans cet avant projet, rien n’est pour l’instant écrit sur l’avenir des Services Départementaux d’Incendie et de Secours. Nous continuons de penser que ceux-ci ne peuvent continuer à être pilotés par une direction bicéphale (État / Conseil général) et qu’ils doivent faire l’objet d’une plus grande transparence et autonomie financière que seule la fiscalisation pourrait leur apporter.
Le débat parlementaire nous apportera certainement des réponses à ces questions.
Dans l’attente, je vois que la foudre ne nous a pas encore frappés, que le chaos a épargné mon propos et que nous pourrons donc continuer d’œuvrer pour nos concitoyens et pour notre département, ensemble, jusqu’en 2015.
Alors, en restant les pieds sur terre mais la tête dans les étoiles, nous allons imaginer notre futur car comme le disait Einstein :
« L’imagination est plus importante que le savoir »
A toutes et à tous, je souhaite une excellente session.
Je vous remercie.