Monsieur le Président,

Mesdames, messieurs les Conseillers départementaux,

Mesdames, messieurs,

C’est un réel plaisir de vous revoir tous dans cette assemblée, après plus de trois mois de crise sanitaire aigüe, de suspension ou presque de la vie démocratique de nos instances, même s’il est vrai que nous avons continué de fonctionner, de nous réunir, de délibérer .

En effet, la vie de notre Département ne s’est pas arrêtée. Cette collectivité a tout mis en place pour accompagner l’ensemble de ses agents, mais aussi de ses partenaires. Des associations, des communes, des EPCI, ont pu voir, concrètement, en situation de crise, l’importance de cette solidarité entre nous.

C’est plus de 21 millions d’euros que le Département a mis sur la table, à la fois  pour pallier aux besoins les plus urgents ( masques, fournitures diverses, aides aux associations, aide aux agents des communes, prime aux agents exposés de notre collectivité, associations qui œuvrent dans le domaine du soin à domicile, de l’enfance….), mais aussi pour soutenir les efforts d’investissement (5 millions d’euros à ce titre) afin que notre économie départementale ne soit pas en reste.

Personnellement, je ne crois pas à la révolution. Je crois plutôt aux évolutions et les crises sont, je le pense, traditionnellement accélératrices de tendances déjà présentes.

Celles amorcées en faveur des circuits courts, de l’achat direct aux producteurs et du bio, ne devraient pas faire exception. Dès le début de la crise, les Français se sont rués sur les produits réputés sains, vers les commerces de proximité et vers les circuits courts.

Mais la place de l’e-commerce a aussi été renforcée dans tous les foyers des pays touchés en premier par le Covid-19. On assiste à une explosion du digital, qui va aussi se voir dans les magasins (caisses automatiques…) et qui profite actuellement, en ligne, aux géants du numérique, du divertissement et du culturel comme Netflix.

Pour l’Etat et ses finances publiques, il faudrait bien aussi que l’on tire les enseignements de cette crise et il va falloir argumenter, expliquer et accompagner ce changement de cap.

Il y a quelques mois, on nous vantait la nécessité de l’équilibre budgétaire. Cela se traduisait, pour nous, par l’obligation de respecter le fameux taux directeur de 1,2%.

Je me souviens d’une soignante interpellant Emmanuel Macron, alors en visite au CHU de Rouen, en avril 2018. « Les gens se donnent un mal de chien pour bien travailler, mais on a besoin d’argent, de moyens, de personnel ! » disait-elle au Chef de l’Etat. En réponse, celui-ci avait contesté certains chiffres, plaidé pour des réformes, puis fini par lâcher : « Vous savez, il n’y a pas d’argent magique. Un pays qui va vers les 100 % de dette publique (…), ce sont vos enfants qui paieront. »

Deux ans ont passé depuis. « Il n’y a pas d’argent magique », disait-il ? Le gouvernement vient pourtant d’ouvrir en grand les vannes budgétaires et de débourser des sommes sans précédent pour faire face à la crise. 

 « Nous avons mobilisé près de 500 milliards d’euros pour notre économie, pour les travailleurs, pour les entrepreneurs, mais aussi pour les plus précaires. (…) Dans combien de pays tout cela a-t-il été fait ? » s’est exalté Emmanuel Macron dans sa dernière allocution télévisée du 14 juin.

La dette publique devrait culminer, cette année, autour de 120% du PIB. La planche à billets semble tourner à fond.

Le gouvernement a devant lui un travail de pédagogie important à faire, car le citoyen, devant cette avalanche d’argent, a de quoi être perplexe et perdu. Il va en effet  devenir très difficile de justifier qu’on ne peut pas répondre aux différentes revendications catégorielles, même si certaines sont entièrement justifiées (les invisibles, le personnel de santé…). L’Etat doit aussi être capable de faire Nation, de rassembler autour d’un projet sociétal partagé.

Nous ne pouvons laisser nos concitoyens s’opposer. Il faut mettre fin à l’agri-bashing, au prof-bashing, au police-bashing, à notre société abimée dans laquelle le nombre de suicides ne baisse pas, ce qui, d’ailleurs, est un indicateur de mal être, notamment dans les professions que je viens de nommer. Il faut placer l’humain au cœur de nos ambitions, pas le communautarisme, non, juste l’humain.

La crise du Covid-19 peut-elle alors précipiter l’adoption d’un nouveau modèle Républicain de développement, plus humain, plus équitable et plus durable ?

Oui, mais à condition d’assumer un changement clair des priorités et de remettre en cause un certain nombre de tabous dans la sphère monétaire et fiscale, qui doit enfin être mise au service de l’économie réelle et d’objectifs sociaux et écologiques.

Il faut le faire en investissant dans de nouveaux secteurs (santé, innovation, environnement), et en décidant une réduction graduelle et durable des activités les plus carbonées.

Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat confirment l’urgence à changer de modèle, et parfois, de manière de vivre.

Alors que le gouvernement a publié début avril un décret qui permet aux préfets de déroger aux normes réglementaires, notamment dans le domaine de l’environnement, alors que le Medef demande un « moratoire » sur certaines normes environnementales, nous affirmons, à l’inverse, que tout plan de soutien ou de relance de l’économie, au niveau national comme européen, ne peut se faire au détriment de l’écologie et de notre santé. Les aides d’État aux grandes entreprises pendant la crise du Covid-19 doivent être conditionnées à la mise en place d’une stratégie interne de réduction de leur empreinte écologique.

Donc, si on veut éviter les faillites en cascade et d’immenses plans de licenciement comme en 1929, le financement ne pourra se faire que par la dette, et avec le soutien actif des banques centrales.

Mais cette création monétaire doit être encadrée et ne pas contribuer à doper les cours financiers et immobiliers ou à enrichir les plus riches, sans résoudre les problèmes structurels de l’économie réelle.

En cumulant Livret A et livret de développement durable et solidaire, ce sont 7,4 milliards d’euros qui ont été  engrangés en avril dernier. C’est un record historique.

Les caisses sont pleines et l’Etat est ruiné. Quel paradoxe !

Nous devons faire attention à ne pas privatiser les profits et socialiser les pertes.

Ce risque est bien réel. La BCE a lancé un nouveau programme de rachat d’actifs de plus de 700 milliards d’Euros. Il ne faudrait pas que cet argent se retrouve placé en banque et ne serve pas à réorienter nos économies. Cet argent doit servir à la relance verte et sociale, à un « Grean deal » et non aux bourses.

L’Europe est notre seule garantie en la matière. Il faut d’urgence se donner le moyen d’émettre une dette commune dotée d’un seul et même taux d’intérêt. Contrairement à ce que l’on entend parfois, l’objectif est avant tout de mutualiser le taux d’intérêt et non d’obliger certains pays à rembourser la dette des autres.

Le gouvernement espagnol a proposé que l’on émette entre 1000 et 1500 milliards d’euros de dette commune (environ 10% du PIB de la zone euro), et que cette dette sans intérêt soit prise en charge sur le bilan de la BCE, sur une base perpétuelle (ou à très long terme).

Rappelons à ce sujet que la dette extérieure allemande a été gelée en 1953 (et définitivement supprimée en 1991) et que le reste de l’énorme dette publique de l’après-guerre a été éteinte par un prélèvement exceptionnel sur les plus hauts patrimoines financiers. Car, en même temps, il nous faut redonner du sens à l’impôt. Nous ne pouvons avoir des comptes bancaires pleins, un Etat ruiné, et des citoyens qui ne paient plus d’impôts. La suppression de la taxe d’habitation pour tous est, à ce niveau, contreproductif.

Hérésie, encore, avec le modèle de financement des départements : Comment pouvons-nous faire quand l’explosion des dépenses de RSA se cumule avec l’effondrement des droits de mutation ?

Que penser de notre Ministre Jacqueline Gourault qui déclarait, il y a quelques mois, au congrès des Départements à Bourges que : «  Percevoir une fraction de TVA, c’est tout l’inverse d’une dotation. La TVA, c’est l’impôt moderne de référence. C’est dynamique et pérenne. »

  • Oui,  Madame la Ministre, vous aviez raison, cette recette est bien dynamique. Selon Bercy, elle a baissé de 15,3 milliards, notamment en liaison avec « la diminution de l’activité économique » des dernières semaines.
  • Non, le modèle budgétaire que vous avez mis en place pour les départements ne tient pas. Nous ne pourrons pas absorber les conséquences sociales de la crise sans avoir les moyens « autonomes » d’y répondre.

A l’heure où tout le monde reconnait que les communes, les territoires, les départements ont joué pleinement leurs rôles dans la gestion de la crise, il faut sortir de cette dépendance « jacobine ». Il faut nous donner les moyens d’exercer librement nos compétences. Il faut sortir de cette impasse qui bride les territoires, l’innovation et, du coup, freine la reconquête climatique.

  • Oui, la fédération nationale des sapeurs-pompiers a raison de dénoncer une gestion de la crise du Covid 19 trop centralisée,
  • Non, vous ne pourrez pas construire l’après crise, de Bercy, de Paris ou au travers de l’administration centrale, des ministères, des ARS…
  • Non, une nouvelle vague de déconcentration ne suffira pas, c’est une nouvelle vraie réforme de la  décentralisation  auquel on aspire.
  • Il n’est pas normal d’entendre le Ministre de l’Education et les directeurs d’écoles parler  dans les médias des conditions d’organisation des « cantines scolaires », comme si les maires n’étaient que des exécutants.
  • Il n’est pas normal que le Ministre de l’Intérieur décide seul des primes des sapeurs-pompiers, primes payées avec l’argent des départements.
  • Il n’est pas normal d’avoir encore affaire à des agents comptables dans les collèges  dépendants du ministère et non de la collectivité de rattachement, alors que l’argent qu’ils manipulent provient du Département.
  • Il est déraisonnable d’avoir des doubles tutelles, des doubles contrôles, des doubles emplois ARS et Département sur nos EPHAD ….
  • Non, le monde d’après ne peut être que décentralisé, il ne peut que faire confiance à ses élus locaux.

A quoi bon tirer au sort des citoyens pour faire des propositions climatiques et environnementales, si la Nation n’écoute pas ses élus locaux ?

A quoi bon faire des élections locales si on nous prive des moyens financiers d’exercer nos compétences ?

Avant de conclure, je voudrai, au nom du Groupe Radical de Gauche, féliciter les nouveaux maires, remercier tout autant les maires battus ou ceux ne se représentant pas, car je sais et connais les particularités de ce mandat.

Aussi, par-delà les étiquettes et les différentes sensibilités, je mesure la peine et parfois la souffrance personnelle que certains d’entre vous peuvent avoir. Soyez assurés de notre considération Républicaine.

Notre engagement est parfois incompris, parfois moqué, brocardé, mais il est bien réel et, comme le déclarait, Albert Camus  en 1957 :

« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »

C’est ce que nous essayons tous de faire, en toute humilité.

Christophe MARTINS

Président du groupe Radical au Conseil Départemental 35

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