Monsieur le Président,
Mesdames, messieurs les Conseillers départementaux,
Mesdames, messieurs,
6 février…Imaginons un instant que le compteur des années recule de 85 ans. Nous sommes le 6 février 1934.
Le monde subit les conséquences de la crise économique de 1929 et, partout en Europe, on assiste à la montée des extrémismes. En Italie et en URSS, Mussolini et Staline consolident leurs pouvoirs personnels. En Allemagne, Hitler, nommé chancelier en 1933 a depuis obtenu les pleins pouvoirs.
En France, le chômage bondit et la crise économique et sociale frappe, particulièrement les classes moyennes, soutien traditionnel de la République. Les gouvernements (radicaux..) se succèdent (6 gouvernements entre mai 1932 et février 1934), impuissants à faire face à la crise économique. La contestation politique monte et le système parlementaire est de plus en plus présenté comme inefficace et incapable, par ses lenteurs, d’apporter une réponse au mal-vivre des Français.
Quelques scandales politico-financiers éclatent comme l’affaire Stavisky. Ils renvoient l’image d’un régime corrompu et alimentent les mouvements antiparlementaires, notamment d’extrême droite. Le 6 février 1934, une violente émeute antiparlementaire éclate à Paris : Arbres arrachés, bus incendiés, grilles descellées, jets de projectiles incendiaires et riposte armée des forces de l’ordre, 16 morts, 2 300 blessés… nous avons tous des images contemporaines en tête qui permettent d’imaginer la scène.
Le 6 février 1934 marque une crise politique majeure de la IIIème République car, ce jour-là, notamment avec les ligues, la fédération des contribuables (eh oui, déjà l’impôt) mais aussi des communistes avec l’ARAC, c’est la rue qui l’a emporté sur les votes des Français et des Députés. Malgré une investiture obtenue à une large majorité, le gouvernement démissionnera dès le lendemain.
Aujourd’hui, 6 février 2019, on a donc naturellement comme une impression de déjà-vu.
Forcément, la France d’aujourd’hui n’est pas celle des années 30 et il ne faudrait pas profiter de ces similitudes de l’histoire pour pousser trop loin la comparaison. Toutefois, il y a quand même bien deux points communs entre aujourd’hui et le 6 février 1934 : Le premier point commun, c’est le malaise profond de notre société ; le second, c’est une crise de la démocratie.
Cela transpire dans les revendications des gilets jaunes. Mais quelles sont-elles, finalement ?
Alors, j’ai regardé les 42 revendications listées. Certaines prêtent à sourire comme celle du « droit aux tickets restaurants et aux chèques vacances pour les élus ». C’est sûr que si cette demande est entendue et la mesure appliquée, la France s’en portera tout de suite mieux. Ils demandent aussi que « des emplois soient créés pour les chômeurs ». Pas de problème, on est tous d’accord, mais comment ?
Plus sérieusement, je note qu’après le « zéro SDF », la demande portant sur «un impôt sur le revenu plus progressif » et « le SMIC à 1300 € net », la revendication qui vient en 4ème position, c’est de favoriser les petits commerces des villages et centres villes.
C’est d’ailleurs déjà l’objectif du plan « Action cœur de ville » lancé en décembre 2017 par le gouvernement. Jacques Mézard, ministre Radical en charge de la cohésion territoriale à l’époque, entend, comme l’a dit E. Philippe, « redonner vie à des centres villes délaissés, vidés de leurs commerces, de leurs services et parfois de leurs habitants ».
Dans les cahiers de doléances bretilliens, il est question de proximité, de local, du retour des services publics et commerciaux dans les zones rurales. On y parle de recentrer la vie au cœur des bourgs, de la survie et de la défense des petits commerces de proximité, de diminuer la place de la voiture, de préserver nos espaces naturels et nos terres agricoles, de vivre ensemble, de produits locaux, de circuits courts….
Tout cela devrait guider nos nouveaux choix en matière d’urbanisme commercial.
C’est vrai qu’avec ce regard, on peut se poser des questions sur l’énorme projet d’extension « Open Sky » du Centre commercial Rive-Ouest de Pacé, sur l’implantation possible d’un Village de marques sur Pleurtuit, ou encore sur le possible rachat du Géant Casino de Saint Grégoire par Leclerc, pourtant déjà présent à quelques centaines de mètres.
Alors, pour « transformer les colères en solutions », comme l’a écrit le Président dans sa lettre aux Français et tenter de sortir, par le haut si possible, de la crise des gilets jaunes, le gouvernement a lancé le Grand Débat National.
Cette vaste consultation devrait permettre d’ajuster le programme pour la deuxième moitié du mandat présidentiel mais aussi, soyons clairs, de le re-légitimer en associant les citoyens à sa conception.
Peu importe, l’initiative est inédite et mérite qu’on s’y intéresse. Les Français ont deux mois pour y participer, deux mois pendant lesquels ils sont invités à faire vivre la démocratie à l’intérieur d’un cadre dont les contours ont toutefois été adroitement arrêtés par le Gouvernement.
Le Président s’est engagé à « tirer des conséquences profondes » de la synthèse des débats et des contributions. Avec déjà plus de 500 000 contributions, l’exercice de synthèse s’annonce forcément difficile, tant par le nombre à traiter que par la diversité des points de vues qu’elles expriment et qu’il faudra pourtant respecter.
Sans attendre la synthèse, un besoin de proximité s’exprime déjà de façon évidente et générale.
Quand on parle de proximité, on parle souvent de la commune mais il y a aussi le département. Il est né d’un besoin, celui de rapprocher les Français du pouvoir, tout en gardant un lien profond avec le territoire. 229 ans plus tard, force est de constater que cette échelle reste de taille humaine et que les élus départementaux restent des élus de proximité « à porter d’engueulade » pour paraphraser le président du Sénat à propos des maires. Cette échelle, nous le montrerons dans ce budget primitif, c’est celle de la solidarité. Elle rassure nos concitoyens.
Dans le contexte institutionnel et financier très incertain qui pèse sur l’avenir de nos départements, nous constatons plusieurs types d’avancées :
- Des avancées positives tout d’abord, avec le maintien des dotations provenant de l’Etat, ce qui n’est pas rien,
- Des avancées à confirmer ensuite, avec la mise en place d’un plan pauvreté et la nomination d’un Secrétaire d’Etat à la Protection de l’enfance.
Sur ce point, inutile de dire que le système est financièrement en bout de course et qu’il explose, tant en nombre d’enfants que de coût (plus de 4 Millions d’euros au BP 2019). De plus et malgré la qualité du travail social, les mesures prisent ne semblent pas donner les résultats attendus (il semble en effet qu’un SDF sur trois serait issu d’un dispositif de l’ASE).
- On a aussi des avancées décevantes sur les AIS et MNA avec des déclarations pour le moins surprenantes de la Ministre Gourault qui considère que l’on a été compensé à l’euro prêt. Pour notre département, cet euro vaut quand même plus de 109 millions en 2019…
- On trouve aussi des avancées en trompe l’œil lorsque l’on demande aux départements de mettre 250 millions d’euros de plus dans la péréquation horizontale (3,6 Millions pour nous) alors que l’Etat ne met que 115 millions sur la table.
- Enfin, on a des avancées dans le brouillard lorsqu’il s’agit, dans le cadre de notre contractualisation, du périmètre définitif du retraitement admissible ou encore, lorsqu’il s’agit des conséquences de la suppression de la totalité de la taxe d’habitation sur nos finances.
Et pourtant, malgré tout cela, malgré une augmentation de plus de 11 millions de nos dépenses d’actions sociales, nous tenons le cap.
- Le cap d’un niveau d’endettement supportable, voire allégé (moins 30 millions en 2018),
- Le cap d’un haut niveau d’investissement (+20 Millions en 2019 et un Milliard sur la totalité du mandat).
- Nous tenons le cap aussi d’une maitrise totale des dépenses de fonctionnement qui nous incombent (moins 1,5%, moins que l’inflation),
- Enfin, nous tenons le cap d’une fiscalité maitrisée. Avec 206 € par habitant, nous nous situons à la 63ème place sur 100 par ordre décroissant. Avec une moyenne de 223 € par habitant, cela veut dire qu’il y a 62 départements prélevant plus d’impôts par habitant que nous.
Le Département fait partie des réponses au besoin de proximité qu’expriment les Français.
En tête des préoccupations, on trouve aussi la revendication d’une démocratie plus directe avec le fameux RIC, le référendum d’initiative citoyenne, corollaire de la crise de représentativité que nous traversons.
Ce référendum qui, comme son nom l’indique, serait à l’initiative du seul peuple ou, plus précisément, à l’initiative d’une fraction du corps électoral, est brandi par ses partisans comme seul outil capable d’asseoir la souveraineté du peuple face à une élite déconnectée de leurs préoccupations.
En 1962, Pierre Mendes-France exhortait à réaliser la démocratie de la participation. Il disait que « la démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin dans une urne, à déléguer les pouvoirs à un ou plusieurs élus, puis à se désintéresser, s’abstenir, se taire pendant cinq ans. Elle est l’action continuelle du citoyen ».
L’urgence aujourd’hui est de redonner du pouvoir au citoyen, du pouvoir, mais aussi des devoirs, le devoir de se former, de connaitre comment fonctionne notre démocratie et nos collectivités.
Dans le cas contraire, le risque est grand de transformer la pratique référendaire en plébiscite.
Michel Rocard disait qu’ « un référendum, c’est une excitation nationale où on met tout dans le pot. On pose une question, les gens s’en posent d’autres et viennent voter en fonction de raisons qui n’ont plus rien à voir avec la question ».
Ou pire encore, comme pour le Brexit. Excités par les populistes, les Britanniques avaient-ils bien appréhendé toutes les conséquences de leur vote ? Je ne pense pas. Ils pensaient juste pouvoir vivre mieux leur destin en dehors de l’Union européenne.
Le Brexit Anglais, on le sait tous maintenant, c’est pourtant un véritable tsunami qui déferle bien au-delà des côtes britanniques.
Alors restons prudents sur l’usage du référendum et si le RIC doit être institué, il faudra veiller à ce qu’il soit bien cadré, limité dans sa fréquence et dans les thèmes qui peuvent être soumis au vote.
Par ailleurs, en pleine crise de démocratie participative, la récente décision du gouvernement de supprimer l’enquête publique de certains projets soumis à autorisation environnementale est plutôt paradoxale et nous interroge.
Quelle contradiction que celle d’un gouvernement qui encourage le débat et semble hésiter dans le même temps à mettre au débat les questions environnementales !
Pour conclure et revenir au 6 février 34, il est clair qu’il est difficile de comparer la situation de notre pays aujourd’hui, 85 ans après, avec le contexte de l’Europe à l’époque où l’Allemagne et la France menaçaient de rentrer en guerre.
Mais ce qui est sûr, c’est que nos concitoyens, comme en 34, ont beaucoup de mal à entrevoir l’avenir, leur avenir personnel mais aussi l’avenir de notre Nation. Ils ont un sentiment de déclin, de décadence et souffrent d’un pessimisme profond qui cache une véritable crise d’identité.
C’est pourquoi il nous faut porter localement un projet fort de solidarité et de proximité, un projet porteur d’avenir à notre échelle. Mais il nous faut aussi porter nationalement un projet Européen, porteur d’ambitions pour notre environnement et notre planète. Nous sommes beaucoup à croire en cet idéal, regroupons nous.
Je vous remercie pour votre attention.
Christophe MARTINS